Supprimer ses mails pour réduire son empreinte carbone est sans intérêt

Une personne utilisant un ordinateur portable
Une personne utilisant un ordinateur portable

N’espérez pas sauver la planète en supprimant vos e-mails: Un geste symbolique, mais inefficace ! On entend souvent que vider sa boîte mail serait un geste important pour la planète, afin de réduire son empreinte carbone. Pourtant, envoyer moins de courriels est un geste inefficace pour le climat.

L’empreinte carbone présumée gigantesque des courriels est un sujet traité fréquemment dans les médias, mais souvent de manière exagérée ou même erronée. Selon des experts de la question et madame le ministre français de la Transition énergétique, réduire la quantité de courriels envoyés et les effacer serait donc une mesure importante pour réduire notre empreinte carbone.

L’impact des services numériques (regarder des films et des séries en continu, écouter de la musique, envoyer des courriels, faire des rencontres en visioconférence, etc.) est bel et bien réel et en croissance depuis plusieurs années. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) représente 2 à 4 % des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique. Cependant, l’idée selon laquelle l’empreinte carbone des courriels est énorme, est trompeuse vis-à-vis d’autres leviers d’action qui permettraient de réduire substantiellement l’impact des utilisateurs associés aux TIC.

Des chercheurs travaillant sur la quantification des émissions de GES anthropiques, dont celles provenant de l’utilisation des TIC, pensent qu’il est important de déboulonner ce mythe, qui perdure depuis plusieurs années, afin que nous puissions nous concentrer sur la réduction des sources les plus importantes de GES dans le secteur des TIC.

L’origine du mythe sur l’empreinte carbone des e-mails

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de comprendre l’origine des premiers chiffres ventilés par les médias à propos de l’impact de courriels.

L’idée qu’envoyer moins de courriels permettrait de réduire une quantité importante de GES a été popularisée par Mike Berners-Lee dans son livre How Bad Are Bananas ? The Carbon Footprint of Everything, publié en 2010. Pour la petite histoire, l’auteur est le frère de Tim Berners-Lee, créateur de la navigation via les adresses web (www, URL) et l’un des précurseurs de l’Internet.

Les chiffres mentionnés dans ce livre ont été repris par plusieurs médias autour du globe, même au Canada, ce qui a contribué à renforcer cette idée. Par ailleurs, dans une déclaration pour le Financial Times en 2020, Mike Berners-Lee s’est montré prudent par rapport à l’interprétation de ses calculs. Il a déclaré que ses estimations étaient utiles pour lancer des conversations plus vastes, mais qu’il était essentiel de mettre l’accent sur des questions plus importantes liées aux TIC.

Que se passerait-il si nous décidions d’envoyer significativement moins de courriels ou encore de supprimer nos courriels qui ne sont plus utiles ? À part libérer un peu de place dans les serveurs qui les hébergent, rien ne laisse croire que cela pourrait réduire de manière importante la consommation énergétique des infrastructures numériques. Voici pourquoi :

Messagerie électronique
Messagerie électronique

1) Les systèmes de stockage et de transmission de données numériques fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 avec une consommation d’énergie de base plus ou moins constante, même lorsqu’ils ne sont pas sollicités. En effet, les réseaux sont dimensionnés pour faire face aux demandes de pointe. Que le courriel soit envoyé ou pas, les réseaux utiliseront à peu près la même quantité d’énergie.

2) Il est vrai qu’une quantité incroyable de pourriels (122 milliards en 2022) et de courriels authentiques (22 milliards) sont envoyés par jour. Même si ces chiffres semblent inquiétants, l’échange de courriels ne représente que 1 % du trafic Internet. À titre de comparaison, les services de vidéo représentent environ 82 % du trafic Internet et pourraient encore augmenter dans les années à venir.

3) Sachant que 85 % du trafic des courriels sont en fait des pourriels, envoyer moins de courriels à l’échelle individuelle a une influence limitée pour diminuer la quantité de courriels qui circulent sur le web.

4) Que le courriel soit envoyé ou pas, nos ordinateurs et routeurs seront toujours allumés. La consommation d’électricité associée aux appareils électroniques sera donc plus ou moins toujours la même. Il est très rare que nous allumions un ordinateur uniquement pour envoyer un courriel.

5) L’impact associé à l’utilisation des centres de données et les réseaux de transmission est extrêmement faible lors de l’envoi des courriels. Pour avoir un ordre d’idée, parcourir 1 km avec une voiture compacte émet autant de GES que l’électricité utilisée pour transférer et stocker 3 500 courriels de 5 Mo. Un autre exemple, l’électricité nécessaire pour chauffer une tasse de thé dans une bouilloire consomme autant d’électricité que le transfert et le stockage de 1 500 courriels d’un Mo.

6) Hormis le temps nécessaire pour trier et effacer des courriels, l’empreinte carbone de l’utilisation de l’ordinateur et l’impact imputé à sa fabrication peuvent être plus importants que ce qu’on pourrait éventuellement réduire en les supprimant. Par exemple, effacer 1000 courriels aurait un bénéfice carbone d’environ 5 g d’éq. CO2. En se basant sur le bouquet électrique de la province de l’Alberta (électricité très carbonée), l’impact d’utiliser un ordinateur portable pour 30 minutes émet 28 g d’éq. CO2 (fabrication + électricité). Dans un contexte québécois (électricité bas carbone), ce chiffre baisse à 5 g d’éq. CO2. En résumé, supprimer manuellement ses courriels peut entraîner plus d’impact que de simplement les stocker, puisque cela représente du temps passé devant l’ordinateur.

Il n'est pas forcément utile de supprimer les mails pour sauver la planète
Il n'est pas forcément utile de supprimer les mails pour sauver la planète

Alors, comment réduire l’empreinte carbone de nos courriels ?

Pour quantifier l’empreinte carbone d’un courriel, il faut prendre en compte l’ensemble des étapes impliquées dans son cycle de vie ; depuis l’écriture jusqu’à la réception et la lecture de courriels.

L’empreinte carbone des courriels est principalement associée à la fabrication des appareils électroniques qui sont utilisés pour les écrire et les lire (environ 70-90 %). La phase d’utilisation gagne de l’importance, et peut être même supérieure à la fabrication, lorsque l’électricité utilisée pour alimenter les appareils électroniques est majoritairement produite à partir de combustibles fossiles (comme en Alberta).

La meilleure manière de réduire l’empreinte carbone des courriels consiste à allonger la durée de vie des appareils électroniques et à utiliser ceux moins gourmands en électricité.

Il s’avère ainsi plus judicieux de concentrer notre temps et notre énergie dans des actions qui sont vraiment efficaces pour réduire notre empreinte carbone associée à l’utilisation de services numériques (acheter moins de produits électroniques et surtout prolonger leur durée de vie) et à d’autres activités quotidiennes à fort impact (les transports, l’alimentation et le chauffage).

En somme, vous pouvez sans doute supprimer vos courriels pour gagner de la place de stockage ou pour trouver ce que vous cherchez plus rapidement, mais peut-être pas pour sauver la planète !

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Mis en ligne : Vendredi 3 Février 2023